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La vérité des humoristes

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Carte blanche du 2 janvier 2017 – Non au brocardage politique et au mélange des genres !

Louis Daufresne : LÉmission politique dédiée à François Fillon, on s’en souvient, il y avait une humoriste qui avait été invitée sur le plateau pour conclure. Et cet exercice n’avait pas tellement été apprécié. En tout cas François Fillon avait rétorqué “Je ne suis pas totalement convaincu que ce soit parfaitement approprié de conclure une émission politique de cette manière.” C’est ce qu’il avait dit. Beaucoup de téléspectateurs avaient apprécié plutôt son propos à l’époque. Les journalistes eux-mêmes n’en étaient pas revenus. Vous-même vous n’aimez pas cette pente du  caustique en politique qui risque de caractériser les débats à venir…

Hélène Bodenez : Non, je n’aime pas du tout le mélange des genres, Louis. Je considère même que ce dénigrement systématique des hommes politiques à n’importe quelle heure contribue à alimenter l’énorme abstention et aboutit en réalité à une fallacieuse représentation des succès électoraux. L’esprit Canal, les humoristes des matinales participent d’un cynisme mortifère. Ségolène Royal l’avait bien dit : brocardée matin, midi et soir, elle est allée jusqu’à accuser les humoristes de n’avoir pas été pour rien dans son échec de 2007. Leur pouvoir est en effet phénoménal : Nicolas Canteloup sur Europe 1 et TF1, Tanguy Pastureau sur RTL et Paris Première, Laurent Gerra sur RTL encore… Nos joyeux lurons font la pluie et le beau temps aux heures de grande écoute. L’audimat explose et les annonceurs répondent présents en masse.

L.D. : Alors, en même temps rire fait du bien…

H.B. : Oui, c’est le propre de l’homme, disait Rabelais et ses bienfaits sur le corps ne sont plus à démontrer. Ce qui est en cause c’est moins, encore une fois, le rire et l’objet du rire que le mélange des choses. Se détendre, passer un moment de « franche gaieté » pour reprendre l’expression de Beaumarchais, qui pourrait s’élever là contre ? Un temps pour rire, un temps pour pleurer… Un temps pour… Si l’esprit de sérieux que réclament nos temps lourds et difficiles doit être total, s’en éloigner en se divertissant pour ne pas étouffer relève de la survie. Le carnavalesque a toujours servi à cela. Un renversement temporaire des hiérarchies pour détruire un sérieux prétentieux. Mais c’était de manière limitée. Aujourd’hui, le rire c’est tout le temps. Au point d’ailleurs, que les humoristes eux-mêmes ne sont plus toujours drôles réduits à n’être que méchants.

L.D. : Hélène, le fou du roi, les bouffons, ça a toujours existé. Il y a un rôle subversif qui est peut-être salutaire quand même…

H.B. : Sans doute, Louis. Les humoristes sont les seuls à pouvoir tout se permettre. Ils osent tout et peuvent même par exemple à mots couverts lancer, avant tout le monde, une bribe de vérité cachée d’une vie privée scabreuse. Ils voient ce que d’autres ne voient plus. En artistes qui happent l’air du temps. Lors du réveillon, Laurent Gerra a voulu imiter sur C8 les vœux de François Hollande. La caricature fut énorme, mais au milieu des vérités pas toujours bonnes à entendre il y eut « Qu’est-ce que j’ai fait déjà ? Ah oui. Le mariage pour tous … qui n’a pas plu à tous. » Ils savent, eux, nos saltimbanques que des millions de personnes ont été humiliées et méprisées. Ils savent, nos humoristes, que dans le dantesque échec de François Hollande, le fameux mariage gay y est pour beaucoup !