Vous avez dit “déviances” ? Comme c’est bizarre !
Lors de l’hommage rendu au père Jacques Hamel le 27 juillet dernier en la cathédrale de Paris, Mgr André Vingt-Trois a prononcé une homélie tonique. Elle fut, en partie, relayée en direct sur le compte twitter du cardinal par courtes séquences de cent quarante caractères.
Isolée du reste de l’homélie, une phrase a fait polémique. Elle se situe à la fin du sermon, après un « inventaire » stigmatisant les peurs collectives auxquelles nous étions invités à ajouter peurs individuelles et barrières de protections. Protections de tous ordres comme par exemple le « silence ». Est prononcée ainsi cette phrase : « Silence des élites devant les déviances des mœurs et légalisation des déviances. »
Ciblées, les évolutions de la société
Malgré la généralité du mot « déviances » employé au pluriel, c’est le tollé. Tollé sur les réseaux sociaux. Tollé du côté des journalistes quittant leur devoir de neutralité. Tollé au point que le tweet mal compris est enlevé. Mais le cardinal s’explique. Le journal HuffPost rapporte : « En aucun cas, il ne voulait cibler une mesure en particulier, surtout pas le mariage pour les couples homosexuels. Il ciblait plutôt l’ensemble des évolutions sur la bioéthique, la fin de vie, la gestation, explique le diocèse de Paris. »
Au pays de la liberté d’expression, un cardinal-archevêque devrait donc en chaire obéir au monde plutôt qu’à Dieu, subordonner ses dires à la vulgate journalistique. Cet épisode me fait me souvenir d’une interview de Claire Chazal. La journaliste star de TF1 interrogeait Mgr Jean-Marie Lustiger. Alors qu’une fois de plus, et de manière bêtement systématique, elle cherchait la polémique comme tous ses confrères de l’époque, voici qu’elle remet pour la énième fois sur le tapis, et comme un cheveu sur la soupe, la question du préservatif. Le cardinal juif l’avait alors regardée de son regard si profond et, inspiré, avait rétorqué : « Mais vous êtes obsédée ! ». Cette simple phrase lui avait cloué le bec.
Ils sont obsédés
Ils sont obsédés, en effet ! L’expression « légalisation des déviances » est proférée, et il s’agirait d’une attaque du mariage pour tous. Faut-il se sentir en faute pour se croire concerné par le reproche… Faut-il n’avoir rien écouté des phrases précédentes pour se réveiller comme une marionnette de dessin animé au seul mot « déviances »… Faut-il que la conscience soit inquiète pour qu’elle soit titillée au mot-clé…
Déviance : fait de quitter le droit chemin. Déviance : mot dérivé, construit sur le verbe « dévier », lui-même dérivé de « via », le chemin, grâce au préfixe dé-. Quitter la voie droite est le grand thème par excellence de la foi chrétienne qui a fondé l’humanisme culturel et historique européen. Benoît XVI a insisté comme jamais sur l’homme à la raison droite, l’homme qui ne dévie pas. Dans La Divine comédie, l’ouverture célèbre de « L’Enfer » lance cette même question. Le poète est perdu au milieu de la « forêt obscure » et a perdu “La diritta via” (« la route droite »), a dévié. Dante, le poète précisément très cité par Benoît XVI.
Hodos : ce mot grec employé dans le Nouveau Testament désignait le chemin que suivaient les disciples de Celui qui a dit « Je suis la voie, la vérité, la vie ». Cette voie n’est pas une simple direction. Elle est une personne, Jésus-Christ, lumière sur la route. À moins d’égorger une seconde fois le père Jacques Hamel qui avait emprunté pendant tant d’années la voie étroite et montante, le cardinal Vingt-Trois n’avait pas à renoncer à ce qu’il avait prononcé devant les puissants de ce monde, chiffonnés un brin tout à coup par la vérité.
Apaisement, oui. Le tweet a été enlevé. Abjurer, non. La phrase demeure dans le sermon.
***
Le cardinal Vingt-Trois très percutant et paisiblement insolent sur les valeurs libertaires. Les pieds dans le plat.
— Jean-Pierre Denis (@jeanpierredenis) 27 juillet 2016
***
Lire sur le site du diocèse l’homélie du Cardinal André Vingt-Trois.
Mise à jour du 17 août 2016
Lire sur le site du Figaro en date du 11 août l’article de Chantal Delsol (réservé aux abonnés) : “Parler de déviances, c’est simplement avoir une morale”