Par

Loi travail : quelle religion l’article 6 de son préambule prétend-il réellement protéger ?

Article 6 préambule loi Travail

Jean-François Copé a sans doute raison. Lors des questions au gouvernement ce mercredi 13 mars, l’ancien ministre a posé une question au ministre du travail mettant en cause l’article 6 du préambule de la loi travail : « La liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses, ne peut connaître de restrictions que si elles sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. »

Un article potentiellement explosif

Véhément, Jean-François Copé pense l’article « potentiellement explosif » et refuse la confusion qui consiste à croire que la liberté de conscience et le droit de manifester ses convictions religieuses dans l’entreprise auraient quelque chose à voir. Une pétition pour le retrait de l’article est d’ores et déjà lancée pour éviter ce qui est considéré par beaucoup comme un risque de communautarisme.

Quelle mouche a piqué le gouvernement ? D’un côté, on reste médusé d’un tel scrupule venant d’une gauche qui n’a de cesse, depuis qu’elle a accédé au pouvoir, d’effacer pourtant tout fait religieux… surtout quand il est chrétien, reniant les avancées d’une laïcité ouverte et apaisée, crispant même tout jusqu’aux relations avec le Vatican et le très populaire pape François. On doute que l’article 6 du préambule soit donc édicté pour protéger le chrétien en entreprise ; on doute qu’une telle protection soit recherchée pour la religion dont l’humanisme a pourtant nourri au plus profond le droit du travail. On en doute à bon droit : le fait religieux chrétien, historique, devenu pleinement culturel, ne vient-il pas de subir son coup le plus fatal avec la loi sur le travail le dimanche ? Le repos hebdomadaire obligatoirement donné le dimanche à tous, avait la double vocation de protéger en même temps le salarié et la société. Le dimanche se révélait en réalité un gage de paix. Il a vécu !

D’un autre côté, trop de signaux nous arrivent mettant sous les yeux de tous et chaque jour davantage, telle ou telle revendication émanant d’un islam toujours plus envahissant, refusant l’assimilation attendue. Jean-François Copé a d’ailleurs illustré son propos en évoquant l’affaire de la crèche Baby Loup. L’on se souvient encore de frictions non négligeables à la RATP où les incidents liés à l’islam se multiplient

Les questions ne manquent donc pas. Que recouvre réellement l’expression « fait religieux » utillisée dans cet énigmatique article 6 ? Que porte-t-elle réellement ? Est-ce seulement une affaire de port de signes religieux ostensibles ? Est-ce revendication de salles de prière, de jours fériés propres, du jour hebdomadaire de repos le vendredi ? Jusqu’où pourraient aller ces demandes ? Jusqu’à une certaine mise à l’écart des femmes ?

L’humanisme indépassable du christianisme

Manifester en public sa religion est certes un droit, encore faut-il que les actes de foi d’une telle religion n’empiètent pas sur une culture multiséculaire d’un humanisme ouvert, sur un mode vestimentaire et des styles de vie partagés, sur des relations libres, égales et respectueuses entre hommes et femmes. Se prévaloir de la liberté de conscience et de religion pour imposer peut-être des vues à terme plus politiques que religieuses, n’est-ce pas les instrumentaliser pour leur tordre plus sûrement le cou par la suite ? De grâce, n’oublions pas que le christianisme est un humanisme indépassable. Ne lâchons pas la proie pour l’ombre !

***

Question et réponse

Jean-François Copé

Madame la ministre du travail, je ne parviens pas à comprendre pourquoi, dans le texte de que vous présentez et qui a vocation à aider à la vie économique et à faciliter la vie de l’entreprise, vous avez décidé d’introduire dans le code du travail, pour la première fois, le fait religieux.

Vous l’introduisez de la manière la plus délicate et la plus dangereuse, en indiquant que vous permettez au salarié de manifester ses convictions religieuses sur son lieu de travail, ce qui créera évidemment de l’insécurité dans le climat même de l’entreprise – d’abord, vis-à-vis des autres salariés de celle-ci, mais aussi vis-à-vis de l’employeur, mis en situation délicate, car il lui incombera de justifier un refus pour nécessité de service. Concrètement, madame la ministre, vous allez créer un rapport de force très difficile à vivre, au détriment de l’employeur et des autres salariés. Ce n’est pas l’idée que nous nous faisons de la laïcité et de la neutralité dans l’entreprise.

Compte tenu de ce qui s’est produit dans la crèche Baby Loup et des travaux mis en œuvre aujourd’hui, je rappelle que nous avons formulé voilà deux ans une proposition de loi, refusée par le Gouvernement, visant à ce que ce soient les employeurs qui fixent un règlement intérieur permettant à chacun, dans la concorde, de manifester sa pratique s’il le souhaitait, en veillant toutefois à ce que cela soit organisé. Au lieu de cela, vous introduisez, par le biais des salariés, un risque de rapport de forces.

Tout cela n’est pas raisonnable : vous proposez une demande d’accommodement raisonnable face à des revendications déraisonnables ! Je vous demande donc, madame la ministre, de voir s’il n’est pas possible de retirer cette disposition avant qu’il soit trop tard. Vous évoquez en effet une mesure à droit constant mais, aujourd’hui, le droit constant n’est pas clair.

Mme Myriam El Komri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Monsieur le député, le Premier ministre a demandé à Robert Badinter, dans le cadre d’une mission, d’ériger les grands principes du droit du travail à droit constant. Dans la version qui sera présentée demain en Conseil des ministres, ces principes n’intégreront pas le code du travail – ni aujourd’hui, ni demain. C’est donc là une première contrevérité.

Ces principes doivent guider la commission de réécriture du code du travail jusqu’à l’horizon 2019. Vous faites ici référence au sixième principe porté par la commission Badinter, selon lequel, en effet, la liberté d’exprimer ses convictions, y compris religieuses, peut être limitée par l’employeur pour les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et pour l’exercice d’autres libertés fondamentales des collègues de travail.

Cessons donc de propager une deuxième contrevérité : ce principe est l’état du droit actuel. C’est la stricte reprise de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, du Conseil d’État et de la Cour de cassation. Ma loi n’apporte aucun changement, aucune évolution par rapport au droit actuel.

Il y aura un débat parlementaire. Tous les députés peuvent évidemment modifier l’expression du droit actuel – vous en avez, bien sûr, la liberté –, mais ne faisons pas croire que ce principe apporte une évolution du droit actuel.

Par ailleurs, la gestion du fait religieux en entreprise demande un vrai travail, que nous menons avec les partenaires sociaux.

Monsieur Copé, puisque vous souhaitez faire de la politique autrement, cessez donc ces polémiques artificielles, aussi peu digestes que celle des pains au chocolat !