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J.-J. Goldman va jusqu’au bout de “Toute la vie”

Il est paradoxal de constater, quelques jours à peine après que France 3 a diffusé un documentaire sur Jean-Jacques Goldman, qu’un bad buzz s’empare de la toile pour faire la peau à sa dernière chanson Toute la Vie, chanson “bateau amiral” de la tournée des Enfoirés. Je n’ai jamais aimé, de manière inconditionnelle, et ce nom de troupe et cette tournée annuelle. Mais l’on doit reconnaître à Coluche, en amont de l’événement, d’avoir compté dans le paysage des associations. Qui se souvient, par exemple, que c’est la Loi Coluche qui permet encore aujourd’hui à nombre de donateurs aux associations humanitaires de défiscaliser les dons qu’ils leur font ? de booster ainsi tout un secteur d’aide aux démunis et aux précaires, aux œuvres d’utilité publique ? À chaque fois qu’on parle de Coluche, je me souviens de cela, reconnaissante.

Attali, l’homme du travail le dimanche, défenseur des jeunes ?

La chanson Toute la Vie met en scène l’éternelle question du conflit de générations qui revêt sans doute aujourd’hui un versant plus spécifique, plus cynique, plus nihiliste qu’autrefois. On se souvient de Brel dans Les bonbons par exemple opposant à ses parents un jeune « qui écoute pousser [ses] ch’veux ». Dans Toute la Vie, des jeunes reprochent aux vieux dans une thématique de développement durable, le monde que ces derniers leur lèguent avec sa dose de violence, d’utopies dégradées, de sida. Le face à face est tendu. Mais les vieux rétorquent en leur intimant de se bouger, de prendre en main leur vie, d’arrêter les incohérences. Et voilà la rumeur partie : ce serait une chanson anti-jeunes et réac… Indécence que d’inviter à l’optimisme et à l’espérance. Jacques Attali dégaine, méchant : « J’ai toujours détesté les Enfoirés. Leur dernier clip est un monument de vulgarité et de haine des jeunes. » C’est assez cocasse, au passage, de voir celui qui a inspiré deux lois, la Loi Mallié et la Loi Macron, qui laisseront aux jeunes les seules miettes du travail le dimanche, voler à leur secours. De quelle côté l’incohérence, la vulgarité ?

On n’épiloguera pas plus que cela, mais que dire de plus à des jeunes aujourd’hui que de les inviter au courage ? Les « Vas-y », « Faudrait vous bouger » des anciens sonnent juste à côté de l’hymne à la vie et de l’hommage à l’énergie de la jeunesse ; ils font une belle place au mérite, cette notion très malmenée ces derniers temps. C’est peut-être cela, au fond, qui déplaît. En tout cas, le chanteur des Choses met une fois encore l’avoir du côté de l’être. “Mais vous avez, vous avez, oui vous avez…” ? L’avoir dont il est question, répété trois fois, le refrain le révèle, trésor le plus précieux : la vie, “toute la vie”, “le temps qui n’a pas de prix”. Mais du côté des jeunes, il ne reste qu’une attitude à la Nizan ne laissant dire à personne que vingt ans est le plus bel âge.

Une chanson “qui danse

Jean-Jacques Goldman n’est pas un héritier et le dit dans le reportage de France 3 : « Rien n’a jamais été facile. Si ça marchait pas, j’avais personne pour m’aider ». Dans Toute la Vie, il s’agit juste de transmettre humblement comme il le fait dans toutes ses chansons les valeurs qui lui ont permis de vivre et de percer. Il parle toujours sobrement d’expérience. La chanson, écrit-il dans un communiqué des Restos du cœur, espère que les jeunes « feront mieux » que la génération précédente dans laquelle l’auteur honnête de Sache que s’inscrit ; il ne s’excuse pas, assume sa confiance en l’avenir par et pour les jeunes, défend sa chanson et ce faisant, l’illustre d’ailleurs plus jeune que jamais. Pas jeuniste pour un sou.

Il y a dans ce texte décrié quelque chose de Camus et de son discours du Nobel qui invitait à ne pas subir l’Histoire. Refuser le nihilisme, « se forger un art de vivre par temps de catastrophe pour naître une seconde fois, et lutter ensuite, à visage découvert, contre l’instinct de mort à l’œuvre dans notre histoire. »

Comme l’a démontré le reportage, les critiques musicaux spécialisés se sont toujours montrés féroces à l’égard de Jean-Jacques Goldman. Tout continue. Il y a fort à parier que le public de base dont je suis depuis trente ans (j’ai applaudi l’auteur de “Il changeait la vie au Zenith à Paris), loin des réseaux sociaux viraux, ne réserve pas tout à fait le même accueil bête à Toute la Vie. Car cette chanson populaire, sans prétention, danse ; je vois déjà bien des jeunes se trémousser et lever les bras sur le refrain “Toute la Vie”, y trouver peut-être même une morale simple par temps mauvais. La musique est bonne… JJG reste bon et marche toujours seul… On ne change pas. H.B.

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Lire sur le site de Libération “Toute la Vie” l’hymne punk de cet «Enfoiré» de Jean-Jacques Goldman, par Alex Hervaud.