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Le chef de l’État aux Bernardins : don et contre-don

Président République Bernardins

Les temps ont changé : le 9 avril dernier, dans le lieu prestigieux des Bernardins, le chef de l’État s’est adressé aux catholiques comme peu de chefs d’État français l’avaient fait jusqu’à présent. Avec François Hollande, le prédécesseur direct d’Emmanuel Macron, on avait même atteint un sommet de discourtoisie et de mépris inégalé. État et Église catholique se regardaient depuis 2012 en chiens de faïence comme jamais.

La rupture est donc singulière, historique même. Brillant, le discours a voulu s’inscrire d’emblée dans le précieux que donne l’Église au mot « dialogue », aux notions de « d’engagement » et de « liberté spirituelle ». Le chef de l’État n’a pas manqué, à chaque fois qu’il l’a pu, de montrer sa très haute connaissance de la maison catholique, de l’histoire des catholiques. De ses heurs et de ses malheurs depuis 1905 parlant même de « lien abîmé » à réparer ce qui lui valut le torrent de commentaires fielleux des « sceptiques », on le sait. Ajoutons que tout cela n’a pas été dit de manière froide ou technocratique dans un discours de plus. Il y avait de la chaleur et de la conviction dans ces mots qui avaient été tellement pensés avant d’être prononcés.

“La raison dialogue avec une conception transcendante de l’homme”

Dans ce haut lieu intellectuel, « emblématique », qu’essaie d’être le Collège des Bernardins à Paris, la rencontre culturelle et humaniste fut donc d’importance, sans conteste. En martelant qu’il est un lieu « où la raison dialogue avec une conception transcendante de l’homme, que le danger « c’est le relativisme ; c’est même le nihilisme », Emmanuel Macron révèle peut-être même là qu’il a lu les discours de Benoît XVI, l’un des illustres visiteurs du Collège il y a dix ans.

Devant un parterre trié sur le volet, les références ont fusé, la vivacité de l’esprit a jailli. Ce ne fut pas non plus un entre soi fermé et en cela, il y avait une originalité, une centralité propre à cette soirée riche qu’il faut saluer : place avait été faite aux vulnérables et aux fragiles, à Samuel entre autres, personne autiste si touchante qui invita Brigitte Macron à venir le voir sur son lieu de vie. Ce que la Première dame fit sans tarder en se rendant la semaine dernière, le 18 avril, dans un foyer de l’Arche.

Faut-il pour cela ne plus se sentir de joie ? La satisfaction d’avoir été enfin si aimablement traité doit-elle l’emporter ? L’étonnement de ne plus être encore et encore « humiliés », « qu’on ne hausse plus les épaules » à notre vue et à nos paroles, même si c’est un progrès énorme, doit-il nous faire perdre toute raison critique ?

Certes nous connaissons l’injonction de la séparation des pouvoirs, spirituel et temporel. Nous n’oublions pas qu’il faut rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu, que ce principe même vient de la bouche même du Christ. Mais la coopération pragmatique qu’Emmanuel Macron attend des catholiques est-elle envisageable, possible, négociable ? Comment entendre la phrase : « Il nous faudra vivre cahin-caha avec votre côté intempestif et la nécessité que j’aurai d’être dans le temps du pays » sans sourciller ?

L’une des règles d’une communication réussie en entreprise, c’est la reconnaissance de l’autre par l’écoute. Les « j’entends » du Président de la République ont ainsi ponctué fièrement et essayé de rattraper trop d’années de « méconnaissance » de l’action des catholiques dans la cité ces dernières années. Disons-le, l’essai est transformé. Mais, à leur tour, les catholiques ont écouté le chef de l’État. Très bien écouté même. Ils veulent naturellement coopérer à « pétrir le temporel », sans quoi leur foi serait vaine, celle d’une foi sans les actes.

Le “toutes” de “toutes les lois de la République”

Mais jusqu’où le peuvent-ils sans contrevenir à une « liberté de conscience absolue » quand il faut « en même temps » se plier à « toutes les lois de la République » sans compromis ? Le calendrier des lois qui viennent nous est connu. Après l’autoritaire Mariage pour tous, la PMA pour toutes est quasiment déjà là ; la GPA suivra immanquablement. L’euthanasie, la manipulation de l’embryon sont des sujets brûlants que la voix d’une majorité de catholiques formés porte haut actuellement, comme le révèlent les votes et les commentaires des États Généraux de bioéthique. Ajoutons à cette kyrielle d’inquiétudes, le si libéral travail le dimanche.

Ce que demanderait le Président de la République aux catholiques ne serait-il pas au fond d’arrêter de se manifester bruyamment ? d’arrêter d’être des millions dans la rue ? De ne pas revivre le cauchemar clivant de 2013 qui n’aurait que trop duré ? Oui pour comprendre les catholiques (ça ne mange pas de pain) et en même temps, dans une forme d’anticipation, les inviter à une obéissance légitimiste quand les lois passeront.

Mais peut-être est-ce procès d’intention que d’interpréter si loin, que de colorer ce beau discours d’un noir machiavélisme, que de voir un sous-texte au texte. Peut-être que la voix des catholiques sera effectivement entendue, non parce qu’elle serait théologique mais parce qu’elle se place concernant la cité dans sa seule dimension anthropologique. En cela, elle est universelle et mérite qu’on en tienne compte.

La balle dans le camp de l’intelligence non de la basse conciliation

Une intelligence pointue comme celle d’Emmanuel Macron ne peut manquer cela…Un honnête homme non plus. Rendez-vous en décembre prochain. Il sera assez tôt alors de se dire une fois de plus dupés comme aux pires temps du quinquennat Hollande. La trahison pourrait être alors plus cruellement ressentie encore. Mais, savourons le moment, attendons les yeux ouverts, le cœur tranquille, en sentinelles averties … C’est à la lumière de la fin que l’on comprend le chemin.

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La transcription du discours sur le site du Collège des Bernardins

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LES COMMENTAIRES

De Jean-Frédéric Poisson sur son blog

D’Eric Zemmour sur RTL

Du Grand débat sur Radio Notre-Dame le 13 avril 2018.

De La Croix : “Discours aux Bernardins : l’Église est honorée mais n’oublie pas ses désaccords avec Macron”