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Funérailles du père de Monteynard : émotion et action de grâce

Père de Monteynard

Homélie de Mgr Éric de Moulins-Beaufort prononcée lors des obsèques du père de Monteynard, en l’église Saint-Sulpice à Paris, le 9 mai 2018.

Transcription et intertitres H.B.

 

Un prêtre est mort, rassasié de jours. Il a porté des fruits en abondance. Vous en êtes, frères et sœurs, tous rassemblés dans cette église en ce matin, baptisés, prêtres et diacres, époux, célibataires, jeunes vous préparant à l’âge adulte, vous en êtes tous le gage avec beaucoup d’autres, qui s’y unissent à nous par la prière, et aussi grâce à la télévision catholique KTO.

Méditer sur le mystère de l’existence humaine

Comme la mort de tout chrétien, de n’importe quel chrétien, mais un peu plus encore sans doute, la mort d’un prêtre, d’un prêtre dont le ministère a porté du fruit, nous offre une occasion de méditer un moment sur le mystère de l’existence humaine dans la lumière du Christ Jésus. Et nous y sommes plus invités ce matin encore que notre frère est mort en plein temps pascal, dans la lumière liturgique du Seigneur qui est  la résurrection et la vie. Nous l’accompagnons, en ce jour, veille de la fête de l’Ascension.

Le Seigneur Jésus se proclame lui-même devant ses disciples comme la vraie vigne : « Moi je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron ». Jésus ne se présente pas ici au début de ce discours, il ne se présente pas seulement comme le cep, sur lequel les sarments sont branchés, greffés, comme il le fera dans un deuxième temps, mais il commence par  se présenter comme la vigne dans sa totalité, le tout de la vigne du Seigneur : « Moi, je suis la vraie vigne. » Cette vigne dont le Dieu vivant prend soin, pour qu’elle porte un fruit qui le réjouisse lui pour l’éternité. La vigne de Dieu et le peuple d’Israël, le peuple choisi par Dieu, celui par qui et en qui l’humanité en  sa diversité et dans l’immense aventure de son histoire trouve sa justification, le peuple qui a accepté la loi de Dieu et qui consent suffisamment à en vivre au milieu de ce monde pour que l’œuvre du créateur puisse être reconnue bonne et réjouisse son auteur.

Jésus selon saint Jean  se déclare ainsi à ses apôtres, au soir de son dernier repas, juste avant d’entrer dans sa Passion. Nous comprenons donc ce qu’il annonce lorsqu’il poursuit : « Mon père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi mais qui ne porte pas de fruit, mon père l’enlève ; tout sarment qui porte du fruit, il le purifie en le taillant pour qu’il en porte davantage. Dans la Passion de Jésus en un sens, la vigne de Dieu est ramenée à l’unique Jésus, et celui-ci le Fils bien-aimé est purifié, taillé, émondé d’une impressionnante manière. Et cela, puisqu’il portait du fruit – ô combien ! – et pour qu’il puisse en porter encore davantage pour tous les temps et pour l’éternité.

Si nous comprenons un peu cela…

Si nous comprenons un peu cela, frères et sœurs, plutôt si nous acceptons de l’entendre, alors nous pouvons peut-être comprendre que toutes les tribulations de l’Église, au long des siècles et des années, ont été anticipées dans les souffrances de la Passion du Seigneur, dans les dépouillements qu’il a dû consentir, et ces tribulations sont éclairées comme étant autant de manière pour le Père de l’alléger, l’Église, de ce qu’il y a en elle de mort, et de tailler ce qui peut porter du fruit pour que cela puisse porter du fruit plus abondant.

Le père de Monteynard était un prêtre, un prêtre de Jésus-Christ. Comme chrétien, comme baptisé, il avait compris qu’une vie humaine, ne pouvait être féconde pour l’éternité qu’en étant greffée sur le Christ comme un sarment doit l’être au cep de la vigne, pour être vivifié et vivifiant. Car hors de moi, dit le Seigneur Jésus, vous ne pouvez rien faire. Hors du Christ Jésus, aucun être humain, si loyalement, étroitement, mène-t-il sa vie, si élevées soient ses vertus, et si maître de ses vices puisse-t-il être, ne peut échapper vraiment à la force d’usure, de corruption, d’anémie, de division, de séparation qu’est le péché. Nous pouvons, nous devons affirmer cela, à condition de contempler dans le même mouvement comment le Christ Jésus en entrant dans la mort comme il était passé par la naissance, a rejoint tout être humain beaucoup plus intimement que la plupart ne le savent et pour que chacun d’eux puisse le jour venu, consentir à être repris de l’intérieur par le seul qui puisse être le Seigneur de tous.

Comme chrétien donc, notre frère avait compris que sa vie n’aurait de valeur, de fécondité que dans la mesure où il se garderait uni au Christ Jésus laissant les paroles de Celui-ci demeurer en lui, et y produire leurs effets. Comme prêtre il avait consenti à n’avoir ici-bas d’autre efficacité que celle de Jésus. Il avait consenti que sa voix et sa parole soient seulement le relais de la parole de Jésus, si forte et si faible aussi en un sens, tant sa parole à lui, Charles-Eynard de Monteynard, savait se faire si convaincante et déterminante. Il avait consenti que les seuls gestes décisifs de ses mains consistent à présenter le Corps du Christ comme Celui-ci veut qu’il le soit, à ceux et celles qui cherchent à le recevoir, et à donner son pardon en traçant le signe du salut dans l’air, lui qui était capable de tant entreprendre et qui avait besoin de tant agir. Il avait accepté de n’avoir pas d’autres moyens d’action vraiment à lui dont il puisse véritablement se prévaloir que ceux par lesquels le Seigneur Jésus entend être servi pour s’approcher des membres de son corps.

Un temps de forte mise à l’épreuve de la famille

Notre frère, en cela a été comme tout chrétien et comme tout prêtre, mais il avait spécialement compris avec une acuité toute particulière, à travers un cheminement et des circonstances, dont quelques-uns parmi vous connaissent peut-être les détails et le secret, il avait spécialement compris, que l’humanité, dans notre pays à tout le moins, et certainement bien au-delà, était entrée dans un temps où le peuple de Dieu, l’Église, ne pourrait plus compter sur d’autre soutien que celui du Seigneur, le seul d’ailleurs qui la constitue vraiment. Il avait senti que l’humanité, dans notre pays à tout le moins, était entrée dans un temps où la famille, le lieu de venue au monde et de croissance de chacun, serait fortement mise à l’épreuve, parce que ses supports sociaux, économiques, culturels se déroberaient progressivement sous elle, et il avait reconnu en cette situation, non pas seulement la force du mal qui veut tout détruire de l’œuvre du créateur, ni seulement l’usure du temps qui menace les réalités les meilleures, mais aussi l’œuvre du Père qui purifie en taillant ce qui porte du fruit pour que cela puisse en porter davantage, pour la joie de beaucoup plus, et pour compenser les manquements de beaucoup d’autres.

C’est pourquoi, notre frère, le père de Monteynard, nous le présentons au Père de miséricorde en ce jour où sa vie terrestre est scellée, s’est engagée de toutes ses forces, avec toute son énergie, toute son intelligence, tout son sens de Dieu et de son œuvre au service des familles et au service des jeunes.  Au service des familles, pour aider celles-ci à s’enraciner dans le Christ, à oser se penser, non pas à partir de stratégies sociales, non pas seulement à partir de l’intensité des liens d’affection, et des émotions de la sensibilité, mais à partir du Christ Jésus lui-même, de son commandement d’amour à Lui Jésus, que Lui Jésus vit tellement pour que ses disciples puissent le garder, pour que ses disciples puissent se laisser travailler par Lui, être poussés en avant par Lui. Et cela, que les familles se laissent penser, enraciner à partir du Christ même, de sorte que les familles résistent sur le Christ, soient des lieux d’apprentissage de l’amour, de l’amour comme service et comme don de soi, et non pas comme possession et appropriation. Notre frère, le père de Monteynard s’est engagé de toutes ses forces au service des jeunes pour que ceux-ci osent se croire capables de relations valables pour être éternelles, osent se risquer à déployer ce qui les habite de talents et d’affectivité et de pulsions de vie, dans l’espérance de pouvoir unifier tout cela par la grâce du Christ, dans la charité du Christ, afin que tout cela soit porteur d’un fruit réjouissant pour beaucoup.

La famille un mystère de communion des personnes

Notre frère a osé croire que les jeunes de la fin du XXe siècle et du début du XXIe n’étaient pas condamnés à n’être que les jouets de leurs désirs anarchiques stimulés par la culture des loisirs et de la société de consommation, n’étaient pas condamnés à n’être que des individus définis par leurs besoins de réussite et de confort, leur permettant de faire face à la menace de l’insignifiance et de la mort qui pèse sur tout individu, a osé croire que les jeunes de ce temps-ci pouvaient être conduits à s’engager dans des amitiés fortes et chastes, à travers lesquelles ils pourraient donner leur vie comme une aventure de service et de don, et il a osé les assurer qu’ils y trouveraient la joie. Il a osé croire que la famille n’était pas une structure sociale historiquement située, unissant tant bien que mal dépendance et protection, vouée à être emportée par le flux du temps, et qu’elle était un mystère de communion des personnes, dans la vérité des relations, dans lequel chacun voulait apprendre à être aimé et à aimer en actes et vérité, non par orgueil et par vanité, et comme une mission pour laquelle chacun est établi par le créateur.

À travers l’œuvre de L’Eau Vive, très simple dans son intuition, partagée par d’autres, d’une simplicité dont notre frère a dû conquérir les moyens chaque année, moyens matériels, mais surtout moyens humains, faisant résonner l’appel du Christ qui s’adresse aux siens non comme à des serviteurs mais comme à des amis, pour leur demander tout et même davantage, et encore une fois non pour les utiliser comme des esclaves, mais pour leur partager ce que lui-même vit. Comme un ami partage à ses amis, le père de Monteynard donc à travers cette œuvre a ouvert à beaucoup d’entre vous assurément le chemin qui vous conduit à la joie de porter du fruit dans le Seigneur pour l’éternité.

Frères et sœurs, il avait été donné à notre frère d’entendre, de voir, de toucher, ce qui est depuis le commencement, le Verbe de vie, qui se fait vie éternelle pour nous. Comment ? C’est son secret et encore plus celui de Dieu… Ce qu’il avait entendu à la suite de l’Apôtre, il a su l’annoncer et sa manière d’annoncer a permis à beaucoup d’entrer dans la communion avec le Père et avec son Fils Jésus Christ. Le jour venu, notre frère a su remettre aussi son œuvre.

Le fruit principal de l’Eau Vive : de nombreuses familles au service de la vie

Aujourd’hui, nous rendons grâce à Dieu, pour ce qu’il a rendu possible à son serviteur. Nous rendons grâce à Dieu pour ce que tant d’hommes et de femmes, de jeunes et d’adultes ont reçu de lui, Dieu, à travers ce serviteur-là. Nous demandons que l’œuvre commencée puisse porter de beaux fruits encore. Le fruit principal, nous le savons bien, frères et sœurs, est et sera de nombreuses familles, qui portent et porteront au milieu de notre humanité témoignage qu’aucune vie humaine ne se réduit à un fragment fatalement brisé et voué à l’oubli et que chaque vie humaine est un sarment qui peut porter du fruit, le fruit qui rendra pour tous le vin des Noces éternelles.

En accompagnant ce matin notre frère, avec la prière de l’Église tout entière, en le remettant à la puissance miséricordieuse de Dieu, nous demandons au Père, au nom de Jésus le Seigneur, et nous savons que le Père nous donnera pour notre frère ce que nous espérons. Dans le même mouvement nous demandons non moins au Père, ce que le père de Monteynard fait monter dans sa prière pour tous ceux qu’il avait pu aider et qu’il demandera, nous l’espérons bien, dans la Communion des saints pour chacun : Que chacun de ceux qui l’ont connu ou approché garde le commandement du Seigneur en vérité « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ».  Amen.

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Lire sur mon blog “Mort du père de Monteynard : l’ultime messe du jeudi est dite”