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“Les Choses d’En-Haut” : les consciences toujours vives

"Les Choses d'En-Haut" : les consciences toujours vives

Dans le paysage éditorial actuel Les Choses d’En-Haut d’Hélène Raveau va briller de tous ses feux. Feux de ferveur. Feux polémiques également d’une Foi vivante qui ne concède rien au fanatisme, feux d’une Espérance dénuée du moindre illuminisme. Feux nés du si pur Mémorial de M. Pascal. Voici une centaine de pages brillantes qui s’annoncent comme roman mais que vous découvrez d’abord fragments pascaliens disposés en sept chapitres, pages déroutantes car vous ne savez pas très bien dans quel genre littéraire elles s’inscrivent. Poème, fable ? « Poème héroïque » ! s’avance, dans la préface, le professeur Gérard Feyrrerolles, spécialiste de la littérature du XVIIe siècle et ancien Président des Amis de Port-Royal. Sans doute. Héroïne en tout cas il y a, elle est femme, femme sans nom.

Pour commencer, comprendre l’entremêlement des époques dans ces superbes lignes, ces allers et retours entre le XVIIe siècle et le présent : en connaître surtout le soubassement historique, la destruction de l’Abbaye de Port-Royal des Champs. Destruction totale jusqu’aux fondations. Jusqu’aux restes humains du cimetière. Ce monastère de femmes se relayant devant le Saint-Sacrement qu’elles honoraient jusque dans le nom de leur communauté fut l’objet d’une cruauté inouïe de Louis XIV qui en décida l’anéantissement : « la destruction prit trois années. On ne laissa pas une pierre. Du chantier au charnier, la cruauté de Louis s’inscrivit en lignes de sang. » Sait-on suffisamment que les gendarmes du roi bannirent les religieuses dans diverses communautés, malmenant des sœurs âgées ? Un ordre est cité, celui des Visitandines.

Renaissance de Port-Royal en plein XXIe siècle

Gageure littéraire ou prophétie ? La narratrice invente longtemps après la tragédie la vocation d’une moderne jeune fille du XXIe siècle venue prier librement avec onze autres sur le lieu même de la destruction ancienne, « debout sous le ciel », « chantant de très anciens chants oubliés », et attirant des foules qui écoutent n’ayant « jamais entendu louer Dieu ». Politiques et évêques impuissants s’offusquent naturellement de telles « effrontées » pour lesquelles affluent pourtant des dons pour une hypothétique reconstruction : « Personne ne savait comment s’y prendre avec ces femmes ». Le cercle de prière est vite jugé dangereux, rien à voir pourtant avec les prières de rue des musulmans « à qui on avait construit des mosquées ces trente dernières années ». Ainsi lit-on : « Pire que des prières des rues, c’étaient des prières des champs », prière quotidienne chaque soir à six heures et demie de ces femmes sans voile, intemporelles orantes. Veilleuses debout chantant complies dans « une atmosphère de fin de monde » engagées dans un combat « contre le siècle ».

Pas de restauration à l’identique espérée mais un relèvement opéré par des vivantes qui  choisissent d’« arracher Port-Royal à la poussière des ruines », d’en faire « un bâtiment armé pour le futur ». Assistance au Saint-Sacrement et non un accueil de touristes.

L’un des grands thèmes du livre se niche là : la vénération de l’Eucharistie, « cet auguste mystère », fin de la vocation de Port-Royal au XVIIe siècle.  Si les douze jeunes femmes du XXIe siècle, alignées dans ce vallon célèbre « deux à deux, six d’un côté, six de l’autre », se tournent elles aussi vers le Dieu caché, ignorant parfaitement la foule, elles amènent par cette ignorance même la foule à se tourner vers Dieu. Les murs du temple de pierre ne sont plus mais elles se tiennent là, « pierres redressées », temples de chair, abbaye vivante. Plus de reliquaire, ni d’ostensoir mais elles s’offrent reliquaires en un sacrifice exemplaire dans le silence qu’elles embrassent : ni le froid, ni les questions des curieux ne les détournent. Paulinienne attitude.

Les fragments dédiés au temps historique de Port-Royal nous apprennent quelle liberté ces femmes d’exception ont dû payer et à quelle obéissance servile on leur demanda de plier. L’épisode du refus de signer le Formulaire, expliqué dans l’annexe, est à ce titre bienvenu pour un lecteur d’aujourd’hui dont le temps, entre outrage au Théâtre de la Ville et opposition des Veilleurs, a foulé au pied tant de résistances héroïques. Évoqué souvent dans le corpus des fragments, le Formulaire est ce par quoi le scandale arriva : querelle de la grâce si caricaturée, saint Augustin si mal compris.

Louis Le Grand : qui seul est grand ?

Parmi les moments les plus subtils de ce « petit ouvrage » en leurs parallèles saisissants et leurs échos stupéfiants, les fragments politiques interprétant comme fruits amers du règne de Louis XIV jusque dans nos temps modernes les conséquences de la brutalité du Roi à l’égard de Port-Royal des Champs. Le roi avait ordonné de détruire Port-Royal jusqu’au « vif-fond ». Ironie de l’Histoire : la Terreur extirpera de Saint-Denis aussi jusqu’à la dernière poussière royale. Louis Le Grand ? Le Roi-Soleil ? L’interrogation se fait obstinée Qui seul est grand ? Qui seul luit au cœur de l’ostensoir baroque, de ce « soleil » ? Nous dérober à notre grande vocation, celle que l’Esprit-Saint voudrait toujours mieux dessiner, laisse des traces terribles. À échelle individuelle comme à échelle collective.

Loin de tout jansénisme, Hélène Raveau livre une œuvre unique où s’allient profondeur du fond et perfection de la forme. Les fragments dans leur apparent désordre temporel donnent, dans une vision d’éternité, un ordre tout autre d’une force exceptionnelle. La réalité dépassera-t-elle un jour cette fiction d’un Port-Royal reconnu par Rome ? Constatons en attendant que la destruction ancienne n’a pas pu étouffer tout à fait les voix de la conscience et de la liberté spirituelle. H.B.

Hélène Raveau

Les Choses d’En-Haut, Chap. III, p. 50.

Réduit comme on réduit une place forte, démantelé, détruit, rasé, fouaillé, poursuivi jusque dans ses images, Port-Royal résistait encore. Il eût fallu combler le vallon, effacer le ciel, faire rendre gorge aux oiseaux, brûler la poussière et la cendre, décrocher des consciences les portraits admirables, soulever tous les manteaux et les jupes sous lesquels marchaient vers les libraires les lignes de feu, étrangler Pascal au sortir de sa mère, tous les Arnaud, toutes les belles amies, massacrer une génération à la lisière, étouffer Racine au berceau. Dans une agonie qui n’est pas sans grandeur, ayant vu s’écrouler sous lui toute sa descendance, le Roi-Soleil eut un songe…

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Les Choses d’En-Haut, Hélène Raveau, éditions Salvator, 2015.

Mise à jour 23 avril 2015

Mise à jour 30 avril 2015

Recension élogieuse dans le numéro de mai de la revue Esprit.

Mise à jour 1er août 2015

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